Depuis plusieurs années, les éditeurs mettent en place des paywalls pour développer l’abonnement digital et diversifier leurs sources de revenus (voir l’état des lieux de l’adoption des paywalls aux Etats-Unis). C’est un sujet de plus en plus présent et scruté dans l’industrie des médias : comment trouver la bonne formule pour transformer ses lecteurs en abonnés ?
Nous avons donc vécu une première période, intense, au cours de laquelle le modèle payant (en ligne) est apparu, s’est intensifié, présent sous différents formats (freemium, metered, hard, datawall, …). Bien que présent sous différents modèles, les paywalls restent « simples » car ils proposent la même expérience à tous les lecteurs. Un modèle « one fits for all » qui a permis aux éditeurs de frustrer suffisamment 1 à 2 % de leurs « core » readers pour les transformer en abonnés. L’abonnement représente aujourd’hui un potentiel énorme pour les éditeurs, et probablement un modèle plus sain ou le lecteur finance le contenu.
Se pose une question légitime : Comment peut-on aller plus loin pour développer l’abonnement digital ?
Pour illustrer cette question, j’aime personnellement beaucoup l’image de Frederic Filloux : « let’s fill the rest of the plane » dans son article du même nom. Sous entendu : on a vendu une bonne partie de sièges en 1ère classe, comment gagner de l’argent avec le reste de l’avion ?
Piloter le paywall par la data
Les publishers ont mis en place de nombreux moyens pour collecter, analyser et utiliser la donnée de leurs lecteurs. La donnée est aujourd’hui (et depuis quelques années déjà) utilisée côté régie pour mieux valoriser l’inventaire publicitaire et aller chercher de meilleurs CPM.
Si on revient à notre histoire de paywall, le modèle « one fits for all » fonctionne bien pour les fans, mais représente clairement une zone de friction entre le lecteur et l’éditeur pour le reste des lecteurs. Les premières études réalisées auprès de nos clients montrent qu’en moyenne 60% des lecteurs quittent directement le site face à un contenu payant (ce qui a un impact sur l’ensemble du business model de l’éditeur).
Et c’est finalement assez logique lorsque l’on regarde comment se compose l’audience d’un éditeur. Elle est finalement éclatée en dizaines de plus petits segments d’utilisateurs. Les anciens abonnés, les lecteurs volatiles, ceux avec un adblock, les fans, les loggués … Tous avec une histoire, une relation, une affinité différentes avec la marque. Différents niveaux d’engagement et probablement une volonté de s’abonner différente. Les paywalls ont aujourd’hui une réponse très limitée et inadéquate pour toutes ces audiences.
David Skok, ancien head of strategy du Toronto Star, résume très bien la situation dans une tribune sur le site du Nieman Lab : « All of it makes the notion of having binary on-or-off paywalls and press releases touting “10 free articles a month” seem antiquated. »
Il faut construire le paywall de demain qui permettra de dynamiser les revenus des éditeurs. Et la personnalisation du paywall peut et doit permettre aux éditeurs de transformer la zone de friction que peut représenter le paywall en une zone de dialogue. Sans bien sûr que ça devienne une usine à gaz.
Vient maintenant la question suivante : « Ok c’est très intéressant tout ça, mais concrètement on fait quoi et comment pour personnaliser le paywall et améliorer nos KPI d’engagement et de revenu par utilisateur ? »
Proposer un parcours et des offres marketing personnalisées
Un bon moyen d’essayer de convertir plus de lecteurs en abonnés est de proposer des offres et des messages d’abonnement différents selon le profil du lecteur. C’est ce qu’a fait le Wall Street Journal il y a peu.
Le WSJ a mis en place une mécanique où chaque abonné peut partager un article gratuitement à un autre lecteur non abonné. Lorsque le lecteur non abonné découvre l’article, il peut le lire gratuitement. S’il souhaite lire un nouvel article, il est bloqué par le paywall. Mais à la différence d’un lecteur lambda qui se voit proposer l’offre d’abonnement classique, ce lecteur se voit proposer un « guest pass » de 24H. Le WSJ a observé que ce guest pass convertit 6 fois plus que le taux de conversion pour un lecteur classique.
On peut aisément imaginer une personnalisation de l’offre ou du message d’abonnement selon le profil :
– Proposer à un lecteur avec un adblock de s’abonner pour une offre sans publicité
– Proposer à un lecteur volatile, occasionnel ou même en provenance des réseaux sociaux un guest pass pour découvrir l’offre
– Proposer à un ancien abonné de tester à nouveau avec une offre 1€ pour 3 mois avec un message personnalisé
– Déclencher le paywall (sur un modèle metered) avec un nombre d’articles différent selon l’intention d’acheter du lecteur
Pour vérifier l’impact d’un message ou d’une offre d’abonnement au niveau du paywall, il est vivement conseillé d’A/B tester différentes options sur ces différents segments pour s’assurer de la pertinence d’une offre, d’un message ou non. Et de commencer simplement :)
Proposer des prix personnalisés pour accéder au contenu
Si on pousse cette idée « d’offres personnalisées » un peu plus loin, on peut aisément imaginer proposer des prix différents, selon une multitude de critères. Une sorte de « dynamic pricing system » à l’image du yield management bien présent au sein des compagnies aériennes. Celui qui en parle le mieux reste Frédéric Filloux dans son article (que je vous invite fortement à lire) « How Facebook and Google could disrupt the subscription model for news« . Il prend d’ailleurs en exemple Christian Popp qui est le directeur des revenus et de la stratégie au sein de Lufthansa : « His tips focused on business practices that we have in common and was surprisingly relevant: Get your customer segmentation right and you’ll grow your revenues if you run tight control of your inventory. Firstly, create an accurate segmentation of consumers and trade clients, based on their willingness to pay. Knowing how consumers respond is key to being able to maximize the dollars you earn while you offer a range of prices (and all without losing yield). »
Étant donné que le coût supplémentaire lié à la production d’un abonnement digital est proche de zéro, cette méthode permettrait d’accroître la transformation vers l’abonnement et donc les revenus de l’éditeur au global, même si la valeur unitaire de l’abonnement baisserait. Je ne parle pas ici des questions que ça pose vis-à-vis de la CNIL :)
Proposer des options de compensation au lecteur pour accéder au contenu
Si vous analysez la propension de vos lecteurs à payer à un instant T, il est fort probable qu’une grande majorité ne soient pas prêts à le faire. Cela ne veut pas dire qu’ils ne le feront pas demain. Dans tous les cas, il est certain que ces lecteurs, les plus volatiles, ne sont aujourd’hui pas monétisés par les paywalls. Le modèle de réponse unique peut même avoir un impact négatif sur l’engagement des lecteurs (60% quittent directement le site...) et leur propension à s’abonner demain.
David Skok illustre très bien cette réalité dans sa tribune sur le site du Nieman Lab : « Imagine a reader browsing the web on their smartphone while on a train heading into work. They click on a link through Reddit and arrive on your news site where they are served a paywall. Using predictive analytics, we are quite certain that this Reddit mobile reader will not subscribe to your website. In fact, the reader may even post on Reddit just how much she despises your paywall. »
Comme il le dit très bien, nous pourrions proposer des choix de compensation personnalisés et durables autre que l’abonnement dans un premier temps pour monétiser le lecteur et surtout l’engager progressivement avec la marque : « So, instead of wasting our time trying to get that reader to subscribe, what other kinds of value can you exchange with her that could be of mutual benefit? Perhaps it’s an email newsletter signup form that could begin an inbound marketing relationship? Perhaps it’s a video preroll ad with a high CPM to generate maximum ad revenue? Perhaps it’s a prompt for the reader to “like” you on Facebook so that they can help expand your reach? »
De multiples autres scénarios peuvent être imaginés, en plus de ceux avancés par David Skok, comme par exemple proposer aux lecteurs avec un adblock de whitelister le site en échange de l’accès à l’article ou même répondre à une question pour collecter de la donnée. Ou encore offrir un article à un lecteur qui découvre le site pour la première fois afin de commencer un dialogue, une relation avec lui…
Résultat : une meilleure expérience et une augmentation du revenu par utilisateur.
Une étude menée par Scout Analytics auprès d’un éditeur américain a permis de déterminer les revenus générés par segments d’audience. L’audience a été découpée en 4 grandes familles (lecteurs volatiles, occasionnels, réguliers et fans), selon leur degré d’engagement avec le média. Naturellement, plus le lecteur est engagé et plus il rapporte d’argent pour l’éditeur, jusqu’à ce qu’il s’abonne (appelé fan ici). Plus d’information sur le calcul de l’ARPU ici.
La personnalisation du paywall avec les différents exemples évoqués ci-dessus poursuit un double-objectif :
1 — Améliorer l’expérience et donc l’engagement des utilisateurs
2 — Augmenter le revenu par utilisateur que ce soit via l’abonnement ou les autres BM des éditeurs
Prenons le cas de cet éditeur qui arrive à rebasculer un peu moins de 300 000 VU de volatiles à occasionnels, réguliers et fans (soit moins de 2% de la population totale). Lorsque l’on regarde le résultat ci-dessus, on s’aperçoit que cela a un impact énorme : une augmentation de 30% du CA.
Il faut également voir les lecteurs réguliers et occasionnels comme de futurs abonnés. En effet, nous observons auprès de nos clients (et de manière très logique) une propension du lecteur à s’abonner proportionnel à son niveau d’engagement.
En conclusion, le paywall doit être une zone de dialogue et non une zone de frustration entre le lecteur et l’éditeur. Et la personnalisation du paywall doit être la clé qui permet aux éditeurs d’améliorer l’expérience et de développer de manière plus importante leurs revenus.
À condition que cela reste simple et qu’ils disposent d’un outil pour piloter le paywall par la data…